30.10.08

Les bonnes

Maintenant que j’accomplis les corvées du Consul Général, je ne suis plus obligée de m’occuper de celles de la maison. Quel merveilleux progrès dans ma chienne de vie!

Jemaa et Jemia mes bonnes bonnes si bonnes
Al jemaa signifie vendredi. Toi, Vendredite, moi, Robinsonne ! Jemaa et Jemia, ça ne s’écrit pas de la même façon et pourtant ça veut dire kif-kif.
Jemaa a cinq enfants dont une fille. Heureusement , me dit-elle, parce que pour le ménage, tu sais, c’est trop de travail! Il n’y a pas l’eau courante dans le lotissement où elle habite. On achète l’eau le matin à un type qui passe de maison en maison avec de grands “bidounes”. Jemia aussi a un bébé. Il reste à la crèche de “Terre des Hommes” pendant qu’elle bosse chez moi. Quand le père de son bébé s’est taillé dans la nature, Jemia a fui le bled avant que ses frangins ne la massacrent.

Aïcha, mon inclassable bonne
lundi midi- Frrroumache , madame, oula* dessert ?
- Non merci Aïcha, nous n'avons plus faim
- Ateï, madame oula caoua ?
- Euh, non…merci, Aïcha, nous avons terminé.
- Mais, madame, chez madame Kergastel, on toujours faire comme ça !
mercredi midiIlias regarde des dessins animés sur RTM. AÏcha aussi !
jeudi soir- Regarde madame, j'ai tout stiqué les moubels* !
- Merci Aïcha, ils sont aussi beaux que ceux de madame Kergastel, maintenant.

kif-kif : la même chose
oula : ou bien
j'ai tout stiqué les moubels : j'ai tout astiqué les meubles




Touria, ma fofolle de bonne
Un mix d'Audrey Tautou et Vanessa Paradis, experte en danse orientale et sorties du samedi soir en Mercedes pistache, jantes assorties. Adepte du " un de perdu, vingt de retrouvés". Pour la bouffe, même pas une demi-étoile au Michelin

Boutayna, la petite bonne du hadj*Il fait frisquet en cette nuit de janvier. 23h30, 5°C,. Elle a neuf ans. La voilà qui sort les poubelles, pieds nus dans ses petites claquettes en plastique vert. Dans la villa, c'est la fête ! Le patron et bobonne sont rentrés de la Mecque hier matin.

Hadj: celui qui est allé en pélerinage à la Mecque

29.10.08

Consulat général de B. - 1983


Je n'arrête pas de parler du prix des choses et il paraît que c'est vulgaire alors je me trouve du taff. 8h20 : aïe ho, aïe ho, je m'en vais au boulot, resserrant le col de mon manteau de laine autour de mon cou. " Le Maroc est un pays froid où le soleil est chaud " disait le maréchal Lyautey.
Je passe devant l'Alpha 55*, puis devant Vénus-meubles. Toujours le même fauteuil Louis Trucmuche en bois doré et brocart rouge dans la vitrine. Y en a marre de voir tous les matins cette horreur!
Plus loin, les palmiers du boulevard Rachidi émergent du brouillard. Le dragueur moyen dort encore à c't'heure. Tranquille !
Au consulat,je commence en haut de l'échelle pour une " personne engagée sur place " : secrétaire du consul général. Il faut lui commander son bois de chauffe mais je fais passer les affaires courantes d'abord. J'inscris le courrier entrant et sortant dans un grand registre : P00-91, la politique, R03-98, la culture - transmettre à l'ambassade - A01-96, la chancellerie.
- Madame, vous avez pensé à mon bois de chauffe ?
Très vite, je me retrouve au telex à encoder les appels d'offres, long ruban jaune plein de trou-trous, puis à mi-temps, au service de l'attaché maritime pour l'Afrique de l'ouest, un colosse flamand à la nuque de taureau qui m'appelle avec élégance sur la ligne intérieure :
- Dis, Anne, viens une fois !
Une fois mais pas deux ! Dans son bureau, ça cause " offshore " of course, toujours avec le même petit fonctionnaire de l'administration portuaire. Je manque de me faire virer car je refuse de faire la vaisselle de leurs tasses de café.
Heureusement, on me recase à l'accueil téléphonique. Mon boulot consiste à parsemer d'embûches le parcours du demandeur de visa.
- Allo, consulyia di al Bilgica, bijor ! Zemmouri, notre chaouch* me passe la communication avec un sens de la hiérarchie exemplaire.
- Allo ? Madame ? c'est toi que tu te s'occuper des visas ?
- Non, monsieur, moi je me s'occuper d'arroser les plantes !
On ne l'a pas remarqué tout de suite, mais je l'ai eue, la fibre diplomatique et c'est grâce à elle que j'ai dégringolé les échelons.

Alpha 55 : unique grande surface de Casablanca dans les années 80
Chaouch : huissier

27.10.08

Taxi 2 - Quand la (ru)meur monte...

Au retour, mon taxi passe devant le palais du prince saoudien à la Corniche.
- Tu vois, madame, dans la maison traditionnelle, il passe l'été avec ses femmes et ses enfants. Juste derrière, y a la mosquée qu' il a fait construire pour montrer comme il était un bon musulman. Et la villa moderne, juste à côté, c'est pour les partouzes…parce que dans sa maison traditionnelle, il y arrive pas, j'te jure. Un jour, juste devant le palais, un ami à moi qui fait taxi aussi, a pris en charge un jeune qui avait passé toute la nuit à attendre avec d'autres garçons mais qui n'a pas été choisi pour coucher. Au matin, il a reçu beaucoup de flouss et on lui a dit qu'il pouvait s'en aller.
Un coup de bol, en définitive! J’aime bien causer avec les chauffeurs de taxi.

Taxi 1

Dehors, j'ai moins peur, d'ailleurs, la peur est faite pour être dépassée. Ilias sur les bras, je prends un taxi et marchande le trajet jusqu'à la plage. Quinze dirhams ! Besef* mais c'est d'accord. Il me semble qu'on fait bien des tours pour arriver à la mer mais on y arrive. Je débarque enfant et panier, donne 15 DH au chauffeur qui m'en réclame 20 parce que, zama*… tu comprends, la course a été longue, et il y avait beaucoup de circulation et patati et patata…Je le plante là.
Nti rèr youdia, me crie-t-il de loin (T'es rien qu'une juive !)
De un, je ne suis pas juive.
De deux, et même si je l'étais…
De trois, je crois bien qu'il m'insultait mais bizarrement je ne me sens pas insultée.

Allah atai zemorroïd ! (Qu'Allah lui donne des hémorroïdes !)
Zama ; comme qui dirait
Besef : beaucoup
Taxi 2 - Rumeur