16.10.08

Hospitali-thé et salamalèques


Parfois, on passe le ouikende chez Lalla, à Ouezzane. Après beaucoup de kilomètres et l’impression d’être arrivé aux confins du monde, on s’installe autour de la table.
Bam, bam, bam! Quelqu’un frappe violement à la porte principale de la maison.
- Chkoun ? (Qui est-ce ?)
- Kreb ! (Un proche)
Ce genre de réponse, atteint des sommets de précision.
- A ouldi (Ah, mon fils !), dépêches-toi, range moi fissa ce petit reste de tajine au frigo. On le finira ce soir.
Lalla Fadela lisse les plis de son caftan rose pâle, rajuste ses trois foulards, balaie quelques miettes de pain restées sur la table.
- Ahlana, ahlana, lalla Rhadijah, aji ta gliss aiwa! Briti chrab ateï oula caoua ? (Sois la bienvenue Lalla Rhadijah, viens t'asseoir ! Veux tu boire du thé ou du café ?) Et la famille ? Comment ça va, Lalla Rhadijah ? Sidi Lahchmi ? Les enfants ? Tout le monde va bien ? Prends un gâteau, mange…
- Non merci, Lalla, j'ai déjà mangé et je n'en peux plus
- Mange, prends un gâteau aiwa, mange…
- Non merci, Lalla, vraiment, je n’ai pas faim.!
- Mange donc, mange...
Etc, etc, etc...

15.10.08

Le souk


- N'achète pas les bananes, me conseille le sidi
Douze dirhams le kilo, tu te rends compte ! Elles sont importées. Et n'achète pas de jambon, ni de lard fumé, c'est fabriqué ici mais c'est cher et tous comptes faits, je ramènerai le poulet moi-même parce que je le paie 4 DH le kilo. Toi, ils te le feront à 5,50…
Bon! Qu'est-ce qu'on va bouffer alors sidi Radin ?
Je rêve de chocolats double-lait ou dessert 58, de speculoos, de pain d'épices, d'un assortiment de fromages français et d'une bonne bouteille de bordeaux.



- Bonjour, monsieur, je voudrais un kilo de tomates, s'il vous plaît.
Pas de réponse ! D'une voix fluette, je répète, sans plus de succès.
Une ménagère fransaouia* en tablier fleuri, cheveux blancs filasses, grand cabas, 100 ans de Maroc dans les charentaises, me bouscule.
- Dis donc, si Mohamed, c'est quoi ces tomates, là, aujourd'hui ? Elles sont toutes pourries et tu demandes 2 DH pour ça ? T'es mal réveillé ce matin ou quoi ?
Dans 12 ans, je parlerai comme elle. En attendant, j'achète des tomates pourries.



Petit à petit, l'oiseau fait son souk. Le poissonnier me crie du fond de sa stalle au bout de l'allée :
- Bijor Bilgique ! Viens, y a la lotte !
Quelle chance qu'il n'ait pas dit la morue !
Chez le crémier, Ilias reçoit un petit cornet de papier rempli d'olives vertes
- Ze veux aller chez monsieur Zitoun*, moi !
- Bien sûr, fiston, on y va.
Monsieur Zitoun me garde mes paniers quand ils sont devenus trop lourds. Abderrazak me les apporte à la maison pour 2 DH la course.

Fransaouia : française
Zitoun : olive

14.10.08

L'arabe dialectal

J'apprends l'arabe avec la méthode Aaah-Sidi-MIL. Le sidi ne parle à son fils qu'en arabe et il a raison.
Il a raison ou presque car, si le dialogue père-fils coule de source, les conversations en famille sont malaisées.
- Ataïni melha ! (Passe moi le sel !)
- Quoi tu dis ?
Mon vocabulaire s'enrichit néanmoins d'une série de locutions utiles et intéressantes.
Aji a oualadi (viens , mon fils)
Bouss Baba (embrasse papa)
Sir rassel iddek bach naklou (vas laver tes mains avant de passer à table)
Koul aiwa al makla di alek bach mchiou fi l'madina (finis ton dîner qu'on puisse partir en ville)
Yellah, serbi oula baba radi derbek (allez, dépêches-toi ou papa va te frapper !)
Mais non ! Il n'a jamais frappé le papa gâteux !
Ces phrases résonnent dans ma tête et la touche REC de mon enregistreur cérébral est ON. Bientôt je me mets à baragouiner le franrabe et l'arançais.
Dès le matin, j'enfile ma jaquetta (veste) et mes zberdilas (espadrilles) et je vais préparer le caoua dans la cuisina. Après le coup de tilifoun de ma mère, je passe au hammam. Ensuite, je me rends au souk pour acheter de quoi préparer le makla (repas). Aliaoum, tajine dial chiflour ou chalada di al matecha ou zitoun (aujourd'hui, tajine au chou-fleur et salade de tomates aux olives)

13.10.08

Casablanca, rue Eleonore Fournier - 10 mai 1981


Je suis arrivée hier avec Ilias (9 mois).
L'appartement est vieillot, années 30 mais clair et il y a un balcon. De ce balcon, je regarderai grouiller la vie dehors, comme une étrangère.
Dans l'appartement, il y a déjà un frigo et une butagaz*. Mon lit de bébé est arrivé par bateau avec le reste. Ce petit lit de bois a bercé le sommeil de nombreux enfants, cousins ou amis et mes fils y dormiront aussi.
Mon Sidi adoré, pas encore abhorré, s'est occupé de tout.
Lalla Fadela, menue belle-maman dans son caftan pastel, m'a tendu un verre de lait de chèvre et une assiette de dattes. Merci Lalla, je ne sais pas encore dire " chokran* " mais ça viendra.
Les quelques affaires qu'on emporte en exil sont vite rangées.
- Tu veux faire un p'tit tour ? me propose Tonton Hassan
Ilias dans la poussette-canne, nous longeons les murs sales du Lycée Lyautey, Bd Ziraoui, la " mission " où mes fils n'iront jamais : trop snob, trop cher et on y apprend mal l'arabe !
Au milieu du boulevard, végètent des petits arbres sales bizarrement taillés en rectangle. En face, aux terrasses des cafés, rien que des hommes, des dizaines de paires d'yeux qui me suivent…
Je regarde devant moi et manœuvre la poussette-canne sur le trottoir défoncé.

Butagaz : cuisinière à 4 becs avec four et bonbonne
Chokran : merci